Mieux géré, boosté par la hausse des matières premières et par les capitaux chinois et indiens, le continent pourrait enfin décoller.
Pour qui se contente de regarder les journaux télévisés en France, il y a toujours de quoi désespérer de l'Afrique. En moins d'un mois, la lamentable affaire de l'Arche de Zoé, qui a rappelé le désastre du Darfour, l'annulation du rallye automobile Lisbonne-Dakar après l'assassinat de touristes français en Mauritanie, et surtout les émeutes qui ont plongé le nord du Kenya dans le chaos au lendemain d'une élection présidentielle entachée d'irrégularités ont projeté l'image d'un continent en proie aux guerres tribales, déstabilisé par la montée de l'islamisme radical et toujours rongé par la misère. Apparemment, donc, pas d'éclaircie dans ce sombre tableau depuis que les enfants éthiopiens mourant de faim ont fait la une des médias, dans les années 80, rejoints durant la décennie suivante par les gamins soldats de la Sierra Leone, de la République démocratique du Congo et du Liberia.
S'en tenir là serait pourtant passer à côté d'une autre réalité plus positive : économiquement, l'Afrique ne s'est jamais aussi bien portée depuis la décolonisation. On a même de nombreuses raisons de croire possible, à terme, un décollage du continent le plus pauvre de la planète. Ainsi, depuis 2000, sa croissance économique n'a pas été inférieure à 5 % par an. En 2007, plus d'une vingtaine de pays - sur la cinquantaine que compte le continent - ont dépassé ce rythme. Certes, ces performances encourageantes sont en partie le fait des pays exportateurs de matières premières, pétrole en tête. L'or noir et tous les minerais dont l'Afrique regorge, de la bauxite au cuivre en passant par le fer, le manganèse et le platine, ont vu leurs prix presque tripler en cinq ans grâce à l'explosion des besoins chinois et indiens. Prudence, donc. Car, au lendemain du premier choc pétrolier, en 1973, l'Afrique avait déjà connu pareille période d'euphorie avant d'être rattrapée par ses vieux démons. Les cures d'austérité imposées par le FMI l'avaient plongée dans deux décennies de marasme.
Néanmoins, beaucoup de choses ont changé. Pour Philippe Hugon, professeur d'économie à l'université Paris X-Nanterre, la première grande différence réside dans le formidable effet d'entraînement que la Chine et l'Inde devraient exercer durablement sur l'Afrique : « Leur savoir-faire est plus adapté que les grands projets clefs en main montés par les Occidentaux dans les années 70 et 80. » Ainsi, on peut penser que les multiples chantiers ouverts par les Chinois pour bâtir ports, routes, ponts et voies ferrées vont déboucher dans plusieurs pays africains sur une modernisation sans précédent des infrastructures de transport. Or l'isolement géographique « joue toujours un rôle important dans le sous-développement », rappelle l'un des meilleurs spécialistes du développement, Jeffrey Sachs, directeur de l'institut de la Terre à l'université Columbia.
Autre point positif, ces grands pays émergents ne voient pas seulement le continent noir comme un formidable réservoir de ressources naturelles, mais aussi comme des marchés prometteurs pour écouler leurs automobiles, leurs téléviseurs et leurs produits électroménagers (les Chinois viennent de décider la création en Egypte de leur première zone industrielle à l'étranger) auprès d'une classe moyenne dont les rangs commencent à grossir - et c'est là une deuxième différence majeure avec le boom éphémère des années 70. Preuve de la montée en puissance de cette nouvelle classe sociale : le dynamisme du marché immobilier dans tout le continent. « Les taux de croissance de nos ventes de médicaments, de stylos et de bière sont les signes révélateurs de la constitution d'un marché de grande consommation », note Alain Viry, PDG de CFAO, filiale de Pinault-Printemps-Redoute. Tout comme le spectaculaire succès de la téléphonie mobile. Au début de décembre 2007, en six jours seulement, Orange a écoulé 30 000 cartes SIM en République centrafricaine ! Un exploit, dans ce pays qui figure parmi les plus pauvres du monde et qui compte seulement 4,1 millions d'habitants. « Il y a encore un an, dans les villages, on me demandait une école, une mosquée, un dispensaire. Maintenant, on me réclame une antenne de téléphone », a confié un président africain à Marc Rennard, directeur exécutif international chargé de l'Afrique à Orange.
C'est une aubaine pour les pays, qui se voient dotés d'un réseau téléphonique couvrant la plus grande partie de leur territoire en un temps record, mais aussi pour les opérateurs. Les cartes sont prépayées, la population est appelée à doubler d'ici à 2040, et plus de 45 % des habitants ont moins de 15 ans... Orange, présent dans 13 pays, veut atteindre les 50 millions d'abonnés d'ici à 2010, contre 30 millions aujourd'hui. Et sans forcément se lancer dans une course aux acquisitions. La croissance interne pourrait suffire : Sonatel, l'opérateur téléphonique sénégalais, fleuron de France Télécom sur le continent, est passé de 1 million d'abonnés fin 2005 à 3 millions fin 2007. Formidable machine à cash, avec un résultat net qui atteint 30 % des ventes, Sonatel a vu sa capitalisation boursière passer de 182 millions d'euros en 2001 à près de 2 milliards en 2007. Cette envolée s'explique notamment par l'enthousiasme croissant des investisseurs privés du monde entier pour le continent noir.
Et c'est là que réside la troisième grande différence avec les années 70 : l'Afrique ne compte plus seulement sur les béquilles fournies par les institutions internationales comme l'ONU, la Banque mondiale et le FMI. Le think tank CAPafrique notait au mois d'août dernier que la rentabilité affichée par les indices des quinze premières Bourses africaines durant le trimestre précédent était de plus de 10 %, soit bien davantage que la plupart des grandes places mondiales. En seulement trois ans, les cours ont triplé. « En termes de marchés financiers, l'Afrique est au même niveau que l'Inde il y a quinze ans », assure Nicolas Clavel, un financier suisse qui a lancé en juillet dernier le premier fonds spéculatif entièrement dédié au continent, Scipion African Opportunities Fund. Au total, près de 2 milliards d'euros ont été levés en 2007. Il est vrai que les opportunités se sont multipliées, avec plus de 550 sociétés désormais listées par les Bourses locales, contre à peine 66 en 2000. Et que les résultats dépassent toutes les espérances : ces dix dernières années, le fonds américain Emerging Capital Partners a acheté tout ou partie de 42 entreprises africaines et en a revendu 18, avec un retour sur investissement moyen de 300 %.
Si les capitaux privés ont moins peur de l'Afrique, c'est aussi parce que beaucoup de pays sont aujourd'hui mieux gérés. « Ils touchent les dividendes des réformes qu'ils ont engagées à partir du début des années 2000 : stabilité politique plus grande, allégement de la dette extérieure, gestion des finances publiques plus saine, meilleure maîtrise de l'inflation et forte croissance », souligne Lucia Wegner, économiste au Centre de développement de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Un certain nombre d'Etats subsahariens se sont même engagés dans « une démarche de transparence financière », assure Véronique Paillat-Chayriguès, analyste crédit à Standard & Poor's, qui « note » désormais 14 d'entre eux. Etape indispensable pour accéder aux marchés de capitaux, la notation, qui se fait à la demande du pays, « montre qu'il y a une volonté d'ouvrir les comptes », explique-t-elle.
Bien que plusieurs clignotants soient passés au vert, des interrogations demeurent. Difficile d'imaginer, par exemple, dans un continent où un habitant sur deux vit encore avec moins de 1,50 euro par jour, un début de diversification de l'économie - lequel serait le signal le plus crédible d'un développement durable. Hormis l'Afrique du Sud, Nicolas Clavel ne voit pas le continent devenir une puissance industrielle, à l'instar de la Chine et de l'Inde : « Les marchés sont trop petits. Les matières premières vont rester un secteur clef de l'économie. »
C'est donc beaucoup de la bonne utilisation des revenus tirés des ressources naturelles que dépendra la pérennité de la dynamique actuelle. Entre la lutte contre le paludisme et le sida, les problèmes d'accès à l'eau potable, les énormes insuffisances des systèmes d'éducation et le manque encore criant d'infrastructures, les défis restent gigantesques. Il faudra, surtout, éviter de céder aux sirènes du surendettement, les Chinois étant prêts à ouvrir aux capitales africaines des lignes de crédit illimitées sans conditions pour accéder à leurs minerais ou à leurs hydrocarbures, qui couvrent désormais 30 % des besoins de l'empire du Milieu. « Les pays développés ont annulé la dette de certains des Etats les plus pauvres. Il est légitime de ne pas reconstituer cette dette », avertissait Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, à l'issue d'une visite de quatre jours en Chine.
Enfin, il n'y aura pas de véritable développement sans la constitution d'un tissu économique plus dense. Mais la classe d'entrepreneurs prometteurs qui a émergé à travers le continent ne dispose pas encore d'un climat des plus propices. Le classement prenant comme critère la facilité à faire du business tel qu'il apparaît dans le rapport « Doing Business 2008 » de la Banque mondiale est sans concession : sur les 30 derniers pays du monde, 24 sont subsahariens. Pour créer une entreprise en République démocratique du Congo, il faut compter 13 procédures et cent cinquante-cinq jours, le record mondial revenant à la Guinée-Bissau, dont l'administration demande deux cent trente-trois jours. Madagascar, de son côté, a ramené le délai à sept jours seulement, comme en France. D'ailleurs, le président Marc Ravalomanana est chef d'entreprise, et le nouveau maire d'Antananarivo règne, à 33 ans, sur un petit empire de la communication et des médias. L'Afrique ne se redressera durablement que lorsque ces pionniers malgaches auront fait beaucoup d'émules.
Source http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/quand-l-afrique-s-eveillera_141516.html?pg=2
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